Dhaulagiri

Les piles du Dhaulagiri
250 piles et batteries récupérées autour du Dhaulagiri (8 167 m, Népal).  Un beau nettoyage mené jusqu’à 6 000 m d’altitude.

Face Nord-Ouest du Dhaulagiri

La face Nord-Ouest du Dhaulagiri, septième plus haute montagne de la planète. Photo D.Pijot

Négociation avec les autorités

Discussion avec les hôtes de Bakthapur. Photo S.Pelle

Avril 2007. Katmandou (Népal).
Un trek de 19 jours commence pour mes amis et moi. « Churen Himal », une agence de l’ethnie Gurung nous guidera via Pokhara et Beni dans le sens des aiguilles d’une montre autour du massif du Dhaulagiri (un des quatorze sommets de plus de 8000 mètres de la planète).

J’ai prévu de collecter les petits déchets que je rencontrerai. Un sac de toile à la ceinture, un autre plus grand dans mon sac à dos, et un dernier collecteur renforcé et étanche, que je retrouverai tous les soirs au bivouac. Mais l’évidence s’impose, l’itinéraire est jonché de détritus … par tonnes. Du coup, mon projet tombe à l’eau. En un kilomètre, j’aurai fait le plein, et nos porteurs sont bien assez chargés.
Babiyachaur, Dharapani, Sibang, Chechung … tous ces villages isolés que nous traversons en nous enfonçant dans la montagne, sont défigurés par les vestiges que la société de consommation a mis à disposition, sans contribuer à organiser leur évacuation et encore moins leur traitement. Canettes, bouteilles, emballages alimentaires, débris plastique de toutes sortes. Ce ne sont que de petits déchets mais ils sont aussi nombreux que les dollars de dette réclamés par les banksters de Wall Street. A l’entrée et à la sortie des villages, imaginez une pyramide de déchets de 1 à 2 mètres-cubes. Le plus souvent positionnées à proximité d’un cours d’eau, elles seront charriées au moindre orage à travers les terres cultivées jusque dans la rivière en contrebas.

Il y a aussi de nombreuses piles de tous formats. Elles sont utilisées par les habitants pour faire fonctionner de petits appareils tels des postes de radio. Les piles sont faciles à collecter et c’est vraiment important pour l’environnement de les éliminer.  C’est décidé, ce sera le fil rouge du  trek.

La collecte commence

La première pile du trek

Je fixe un petit conteneur étanche sur mon sac à dos. Facile d’accès, il permettra à mes équipiers et moi de le remplir sans difficultés. Après quelques heures, notre équipe Gurung est incrédule. Mon manège les intrigue. Il suffira de quelques explications sur l’impact des métaux lourds sur les sols et l’eau consommée par les bêtes et la population pour qu’ils comprennent la démarche au point d’y participer … avec enthousiasme. Soit ils accèdent au bidon directement, soit ils placent les piles sur la trace à des endroits visuellement immanquables, soit encore ils sifflent pour me prévenir.  Je n’ai alors qu’à ouvrir l’œil.

Avec Suk et la récolte du jour

Suk Bahadur Gurung et son équipe ont participé activement à la recherche.

Parfois, elles sont éventrées par le piétinement des mules. La poudre qu’elles contiennent s’en échappe. Intransportables sans précautions car très toxiques, je suis contraint, la mort dans l’âme, de me limiter aux pièces intactes. Malgré tout, dès le village de Dobang, mon bidon se remplit dangereusement. Il m’en faudra rapidement un autre.

Suk Bahadur Gurung, notre sirdar, interpelle un groupe de villageois. Après un bref échange, ils disparaissent en courant. Quelques minutes plus tard  l’un d’entre eux revient fièrement avec un bidon plastique de 5 L qui a bien vécu.  Il n’a pas de bouchon mais fera l’affaire. « Danyabad dajyu »: Merci monsieur en népalais. Je paye mon fournisseur avec soulagement.

Quelques évidences s’imposent déjà : L’argument prétendant que les préoccupations environnementales sont un luxe  de pays riche ne tient pas. La collaboration spontanée du peuple Gurung en est la preuve. J’insiste sur le terme « spontané » car en France, la même démarche déclenche l’hostilité de  ceux qui pensent qu’un déchet n’est pas un problème si on ne le voit pas, et usent de leur pouvoir pour faire capoter les opérations  de défense de l’environnement si leur image ou leurs affaires doivent en souffrir. Des individus isolés aux multinationales, héritage de la colonisation, les riches occidentaux trouvent normal de piller et souiller les pays pauvres, et en plus, ils sont susceptibles.

Une chute de séracs inquiétante

Une chute de séracs inquiète le groupe. On distingue le bidon de collecte au premier plan. Photo D.Pijot

En amont de Dobang, les piles découvertes ne sont pas celles des indigènes car rien ne les oblige à monter si haut. Plus de villages, plus de cultures … A plus de 2500 m, elles sont donc abandonnées par des trekkeurs et des alpinistes. A basse altitude, on trouve une majorité de piles chinoises de mauvaise qualité de format LR 20. Plus haut, ce sont des piles occidentales, majoritairement de format LR 03 (AAA) ou LR 06 (AA) de 1,5 V.

Au septième jour de marche, nous devinons la masse du Dhaula, mais le sommet du mastodonte reste caché par les nuages. L’excitation nous pousse inconsciemment à accélérer l’allure. Nous le payons aussitôt. Il nous apparait tel le Mont Blanc depuis Chamonix … Mais nous sommes à 4000 mètres.

dhaulagiri-camp-italien-respect-planet

Au « Camp des italiens », les piles sont parmi les déchets que l’on a tenté d’incinérer.

Le « Camp des italiens », au pied de la face ouest est un dépotoir. Les déchets sont partout. Je découvre un énorme gisement de plastique et de bouteilles que l’on a tenté d’éliminer par le feu. Un spectacle insupportable dans un sanctuaire comme celui là. Je rêve de revenir avec une équipe de nettoyeurs et un hélico.

Au camp de base, à 4800 m, il neige et une pellicule de 5 cm empêche de faire un état des lieux. Nous franchissons le « French Pass », col baptisé en souvenir de l’expédition ayant mené à bien l’ascension de l’Annapurna de 1950. Avant de se rabattre sur cette montagne, les français cherchèrent  un accès pour le Dhaulagiri.

La traversée Hidden Valley-Thapa Peak base camp-Yak Karka, battue par les vents donne une illusion de propreté. Seuls les déchets lourds sont visibles, les légers ont disparu. Le nettoyage sera mené jusqu’au sommet du Thapa Peak, à 6000 m.
Cet espace a déjà été nettoyé. En 2001 et 2002, l’expédition Dhaula-Guéri menée par 8 élèves de l’École Centrale de Lyon et leurs 30 porteurs, avait collecté et évacué de la montagne près d’une tonne de déchets.
(Dhaula Guéri, Une aventure citoyenne.  Éditions EN’PRINT. 2003)

Souvenir de l'expédition Dhaula Guéri

Souvenir de l’opération française de nettoyage de 2002.

A Marpha, nous retrouvons la Kali Gandaki Kola. Cette rivière a creusé la vallée la plus profonde du monde. Charriant les eaux des hauts plateaux du Mustang en bordure du Tibet à près de 6300 m d’altitude, elle grossit en collectant celles des massifs de l’Annapurna et du Dhaulagiri et rejoindra le Gange puis l’Océan Indien. C’est aussi l’itinéraire de retour du Tour des Annapurnas, trek surfréquenté où nous retrouvons la civilisation et ses montagnes de déchets. Ma collecte de piles s’arrête là car je ne peux en ramasser davantage.  Mes deux bidons débordent.

Le chantier de la route Beni-Jomosom

Un pan entier de la montagne sera excavé à la masse et à la barre à mine. Sur la future route Beni-Jomosom, tout se fait à la force des bras. Sur l’arête supérieure, les terrassiers à l’œuvre.

La vallée de la kali Gandaki est protégée de l’invasion automobile. Entre Beni et Tatopani, un relief extrêmement tourmenté, associé à un dénivelé vertigineux, a interdit la construction d’une route. Jusqu’à présent … car à l’entrée de Tatopani, nous croisons le chantier de la future route. Nul bulldozer, excavatrice ou engin de chantier. Tout s’y fait à la main. Pelles, pioches et barres à mine. Trous d’explosifs forés à la masse. Pas de marteaux piqueurs mais des bidons entiers d’huile de coude. Le verrou sera forcé. Les travaux, commencés depuis 10 ans, en mettront 10 autres pour être terminés. Et les 4×4, plaies du monde moderne, amèneront leurs hordes de culs de jatte aux pieds des sanctuaires de l’Annapurna et du Dhaulagiri. Laideur de l’asphalte et des bagnoles, laideur du béton et des plastiques, laideur du tourisme de masse, laideur de la mondialisation.

Comme en 2007 il n’existe pas de filière de recyclage et d’élimination des déchets dangereux au Népal, les piles seront rapatriées en France et remises à « Valespace », centre de tri de l’agglomération chambérienne (73),  pour traitement.

Remise des piles pour traitement

Pierre Vandekerckhove, directeur de Valespace, réceptionne les piles. Photo J.Luc Bourgeois