Nettoyage à l’Aconcagua

Guide : Alberto Perez    Nettoyeurs : Breffni Bolze et Philippe Goitschel

Breffni et moi passerons 15 jours sur la plus haute montagne du continent américain pour y nettoyer une voie d’ascension, souillée par les déchets abandonnés par les alpinistes.

Jour de l’an 2008. Notre trio s’achemine en direction de Plaza Argentina (4180 m), le camp de base de la face nord de l’Aconcagua (6971 m). Nous avons choisi de gravir la montagne par la voie dite « Folso Polono » (ou Traversée des Polonais), d’y ramasser tous les déchets rencontrés et les concentrer à Plaza Argentina d’où ils seront évacués à dos de mules ou par héliportage.

Survol de l'Aconcagua

La face Sud de l’Aconcagua, gravie par une expédition française en 1954.

Sans difficulté technique particulière, la voie normale de la face nord est la deuxième voie la plus fréquentée pour gravir l’Aconcagua, et comme le trafic y est important, nous aurons de grandes chances de trouver des déchets. Après le tour du Dhaulagiri l’an dernier, la face nord de l’Aconcagua nous permettra de faire un état des lieux dans le but de renouveler l’opération sur d’autres sites et si possible à des altitudes supérieures.

Les problèmes environnementaux causés par le développement du tourisme dans les hauts massifs montagneux se concentrent plus particulièrement au niveau des camps de base et d’altitude où de nombreuses expéditions sont appelées à rester durant de nombreuses semaines. À la fin des expéditions, souvent exténués par l’effort, certains alpinistes laissent derrière eux de grandes quantités de déchets. Plus l’altitude augmente, plus les efforts à déployer sont importants et moins les alpinistes ont d’énergie à perdre pour ce qui ne concerne pas leur ascension. Donc, plus on monte, plus on a de chances de tomber sur des dépotoirs.

Entrée du parc national Aconcagua

Après avoir validé notre entrée, un « gardaparque » nous remettra les sacs de déchets numérotés visibles à gauche.

L’Aconcagua se situe dans un parc national. L’augmentation de fréquentation du massif et les répercutions de l’activité des alpinistes sur l’environnement a poussé les autorités à en règlementer l’accès et mettre en place une procédure symbolique mais louable. Une fois l’autorisation obtenue, on vous remet à l’entrée du parc deux sacs plastique que vous devrez restituer à la sortie. Le premier est destiné aux déchets de consommation, le second aux selles.
Une très bonne idée. Avec ce froid, les matières organiques ne se dégradent que très lentement, et sans cette exigence, la montagne serait une immense fosse septique.

Mule prète pour le portage

Aveugles, les mules restent disponibles sans divaguer.

Le trajet Punta de Vacas (2406m) – Camp de base demande 3 jours de marche.  Au début, l’itinéraire semble relativement propre. Au deuxième jour, entre Pampa Lenas (2960m) et Casa de Piedra (3245m), en quittant la piste un instant, nous découvrons un gros sac de déchets dans un torrent. Une mule de retour de la montagne l’aura perdu. A la montée, les mules permettent le transport des bagages des alpinistes. A la descente, elles seront chargées des déchets produits au camp de base par ces mêmes alpinistes, les tentes-mess des agences de trek et les services de restauration de ces agences. Nous halons le sac perdu jusqu’en travers du sentier. D’une trentaine de kilos, nous comptons sur sa récupération par la prochaine colonne de mules.

Collecte à l'approche du camp de base

Alberto, Breffni et moi nettoyons sur la voie d’accès au camp de base.

Mais cet écart nous permet de faire une autre découverte. Les petits déchets sont plus nombreux à l’extérieur du sentier. Comment n’y avons-nous pas pensé plus tôt : Un étourdi ne laisse pas tomber ses déchets à ses pieds; il risquerait d’être confondu. Un mouvement du poignet éjecte le déchet au loin et le dissimule aux regards. Désormais nous marcherons donc à l’écart … autant que plus possible, car l’itinéraire est un chaos de blocs permanent. Les pieds ne reposent jamais à plat dans les Andes, et nos bâtons de randonnée, facultatifs sur bien des itinéraires,  s’avèrent ici indispensables.

Traversée d'un gué

Traversée du Rio de las Vacas.

Le trek est globalement propre, malgré quelques exceptions autour des campements intermédiaires. Au troisième jour, nous avons tout de même collecté 50 kg de déchets. Certains  sont confiés au camp Casa de Piedra, d’autres aux convois de mules croisés sur le chemin. Nous arrivons à Plaza Argentina (4180m) le 3 janvier par beau temps. L’éclairage est magnifique. Le camp se trouve sur la moraine d’un glacier. Alberto, notre guide chilien nous fait excellente impression. Attentif et dévoué, il participe à la collecte avec enthousiasme. C’est très motivant. Nous sommes trois nettoyeurs désormais. Nous allons faire un carton.

Une visite sympatique

La visite d’un renard créera un attroupement. Plus farouche qu’affamé, il s’éloignera rapidement.

Comme nous ne sommes pas pressés, nous prendrons notre temps pour nous acclimater et attendre le beau temps. Trois jours sont utilisés pour le repos, des marches en altitude jusqu’au camp 1 et  le nettoyage du camp de base.
L’ascension proprement dite est soumise à visite médicale. Le contrôle est favorable. Nous sommes tous en pleine forme : Mon cœur bat à 68 pulsations minutes et la saturation en oxygène du sang de Breffni est de 90%.

Bon pour l'ascension

La visite médicale autorisant l’ascension est une bonne initiative, mais attendue avec appréhension.

Le 8 janvier, les choses sérieuses commencent. Nous montons au camp 1 (5000m) pour y dormir.
Le 9, journée d’acclimatation et nettoyage du camp.
Le 10,  portage jusqu’au camp 2 (5850m). Le site est sale. Les déchets sont nombreux car certains sont pris dans la glace. Le nettoyage est éprouvant. Il y a du vent, il fait froid et nous sommes à près de 6000m d’altitude. Nous redescendrons au camp 1 pour passer la nuit.
Le 11, peaufinage du nettoyage du camp 1.

Legs aux générations futures

Legs aux générations futures enfoui à la hâte.

Il importe de noter l’accueil favorable de l’immense majorité des grimpeurs de toutes nationalités, nous voyant récurer les campements. A l’exception de deux cordées américaines, nous avons été encouragés, aidés et même applaudis. Les yankees se croient ici chez eux, sur leur montagne. Bannière étoilée fichée entre les tentes comme sur la lune, ils n’ont que faire de notre démarche, n’ont aucune envie de collaborer, nous font comprendre que nous n’avons rien à faire ici, ne comprenant visiblement pas que d’autres qu’eux puissent déclencher pareil enthousiasme. Décontenancés, nous poursuivons le nettoyage du « 2ème étage » du camp 1 situé 100 m en amont.

Breffni en plein nettoyage

Breffni use ses gants au camp de base. La collecte sera fructueuse.

Des porteurs privés sont disponibles au camp de base. Ils sont embauchés par les grimpeurs pour le transport de leur matériel dans les camps d’altitude. Nous leur proposerons  à plusieurs reprises contre rémunération de prendre nos déchets en charge lors du retour vers la vallée. Payés pour monter les charges mais pas pour les descendre, ils apprécièrent le deal au point d’en parler à leurs collègues. Le bruit ayant couru plus vite qu’un guanaco, nous fument régulièrement sollicités par la suite.

Le 12, seconde montée au camp 2 et finalisation du nettoyage entamé deux jours plus tôt. Imprudents, nous n’avons pas l’idée de faire fondre de l’eau avant le coucher du soleil. Épuisés,  nous montons rapidement la tente et nous allongeons dans nos duvets. Inquiets, nous tentons de trouver le sommeil.

Le 13, réveil à 4 heures. La nuit est claire et il y a une petite bise glaciale. Ce matin, -25°. Nous  regrettons la négligence de la veille. Il nous faut 2 heures pour faire fondre de la neige sur le réchaud afin de remplir nos gourdes.  Nous partons  alors pour le sommet.

Contre toute attente, nous nous sentons en forme. L’objectif est donc de l’atteindre dans la journée ce qui représente 1000 m  de dénivelé positif. La traversée à flanc de montagne entre le « Glacier des Polonais » et « Piedras Blancas » semble propre mais les coulées de neige et le vent  ne permettent pas à un déchet de stationner ici. « Piedras Blancas », 6100 m, est le point de rencontre entre notre voie de la face nord et la voie normale de la face ouest depuis « Plaza de Mulas ». Le camp suivant, à 6400 m, s’appelle « Indépendencia ». C’est une cabane de bois en forme de tente canadienne partiellement détruite. Le vent ayant dégagé la neige, quelques déchets sont visibles. Nous les regroupons dans un sac de toile que nous calons sous une pierre. Alberto le récupérera à la descente.
De toute évidence, l’altitude affecte les capacités physiques et trouble la concentration. Cela fait une demi-heure que je fouille mes poches à la recherche des barres énergétiques dont j’étais responsable pour l’équipe. Rien à faire. Breffni et Alberto, agacés, me passent un savon maison, mais ce dernier, prévoyant comme toujours, était parti avec des réserves qui nous sauvent la mise. Je retrouverai les fameuses barres, de retour au camp 2, rigoureusement alignées sur mon sac de couchage.

L’eau pose aussi problème. Non pas quelle manque, mais mes deux gourdes sont gelées.   Après 2 heures de marche, les -25° ont réussit à les figer à travers mes vêtements. Je place alors les gourdes plus près du corps, mais me rend vite compte qu’il est trop tard. Pour qu’elles fondent, il faudra des heures. La seule solution est … de manger de la neige. Je passe donc le reste de l’ascension à déneiger le « Gran Acarréo » et la « Canaleta ».
Pour couronner le tout, au sommet, le caméscope refuse de fonctionner à cause du froid.

De retour à Plaza Argentina, Breffni réussit à joindre son épouse Cécile grâce à un téléphone satellite canadien. Voici le message que Cécile adressa à nos familles, amis et partenaires :

Breffni, Philippe et Alberto ont atteint le sommet dans de bonnes conditions (splendide cadeau d’anniversaire pour Philippe !)
Le programme prévisionnel a parfaitement été respecté :
–  Mercredi 9 janvier : journée au Camp 1.
–  Jeudi 10 janvier : montée au Camp 2 pour y déposer la moitié du matériel… sous la neige, dans le froid et le vent. Les conditions météorologiques sont difficiles, mais on annonce quatre jours de beau temps. Descente et nuit au Camp 1.
–  Vendredi 11 janvier : journée de repos au Camp 1.
– Samedi 12 janvier : montée au Camp 2. Courte nuit (19h-01h) sans sommeil. Le manque d’oxygène dû à l’altitude (5 800 mètres) est pesant. Breffni et Philippe peinent à respirer, même au repos !
–  Dimanche 13 janvier à 13h : arrivée au sommet ! La montée fut longue et éprouvante. Leurs efforts seront récompensés par une vue bien dégagée.
–  Lundi 14 janvier : retour au Camp de base.
La mission de nettoyage est elle aussi couronnée de succès : 60 kg de déchets récoltés au Camp 1, 40 au Camp 2 qui viennent s’ajouter aux 150 kg ramassés au Camp de base et 50 kg dans la montée : 300 kg en tout !
Leur mission a reçu un accueil très chaleureux de la part des gardes du parc qui les ont vivement remerciés pour leur travail. Certains d’entre eux les ont aidés à acheminer les déchets des Camps 1 et 2 vers le Camp de base.

Avant l'héliportage des déchets

Les « guardaparques » ont commandé un héliportage. Une partie de nos déchets voyageront par les airs.

logo-MWFArticle Mountain Wilderness du 28/12/2007
Présentation de la conférence de presse de retour